Le 8 novembre 2012, Abel, Marc et Herman ne sont pas rentrés chez eux après leur journée de travail. Leur entreprise Neptune Technologie située dans le parc industriel de la ville de Sherbrooke a explosé. Les trois travailleurs ont quitté leurs familles, sans pouvoir dire adieu, pour un voyage sans retour. Ils sont décédés. De plus, 43 autres personnes étaient blessées. Le siège de l’entreprise est parti en fumée. Dix ans après cette tragique explosion, comme si on n’avait pas tiré des leçons, soit le 23 mars 2022, à 8h23, le centre de valorisation de l’aliment (CVA), situé dans le même parc industriel de Sherbrooke est réduit à son tour en cendre. Il a explosé, occasionnant à son tour trois blessés. Évacués dans un premier temps au centre hospitalier universitaire de Sherbrooke, les trois travailleurs ont été transférés à l’unité de grands brulés de Montréal. Enfin, le 18 décembre 2023, un jeune employé travaillant dans ce parc industriel, pour son premier emploi s’ajoute à la liste des victimes d’accident de travail. Il perd trois doigts dans un premier accident de travail. Il passe Noël en larmes et dans le regret. Son entreprise a dû verser une importante somme d’argent à la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST).

1.     Trois cas – trois questions

  • Est-ce que les causes de ces accidents de travail étaient connues ? La réponse, c’est oui.
  • Est-ce que ces accidents de travail étaient évitables ? La réponse, c’est oui.
  • Est-ce que les conséquences de ces accidents de travail étaient prévisibles ? La réponse est oui.

Dans le cas de Neptune Technologie, ce serait un déversement d’acétone. Comme tout composé chimique, l’entreposage et la surveillance devraient être de mise. En plus, l’on a noté, la presse rapporte un non-respect des avis de non-conformité émis par la CNESST, une absence de plan d’urgence, dont l’élaboration aurait été jugée coûteuse. Des sorties d’urgence seraient également défectueuses.

Dans le cas de CVA, il a été fait mention d’une odeur de propane une semaine avant l’accident, si l’on croit les témoins. Une fuite de propane serait à l’origine de l’accident. Dans le cas du 18 décembre 2023, le jeune employé n’aurait pas été formé à la gestion des risques liés à son poste. Le projet de formation élaboré par les professionnels de santé et sécurité au travail aurait été jugé non prioritaire. Pire, la prévention ne serait pas non plus rentable.

2.     Pourquoi prévenir les accidents de travail ?

  • Les accidents de travail tuent encore aujourd’hui

À Sherbrooke comme partout ailleurs au Québec et dans le monde, les accidents de travail tuent encore au troisième millénaire. Et ce malgré les progrès scientifiques notoires et les avancées technologiques de pointe à date. En 2023, près de trois millions de personnes seraient décédées à la suite d’un accident de travail ou d’une maladie professionnelle. Parmi les trois millions, il y aurait 73 Québécois, soit une augmentation de 5.8% par rapport à 2022.

  • Les accidents de travail coûtent cher

À Sherbrooke comme partout ailleurs au Québec et dans le monde, les accidents de travail coûtent très cher. En 2022, les entreprises québécoises ont payé à la CNESST 3 437 millions à titre de cotisation et d’intérêts sur cotisation. Dans le monde, le coût des accidents de travail serait l’équivalent du 4% du PIB, soit 4% de la valeur économique des biens et services ou de la richesse mondiale.

  • Les accidents de travail occasionnent des absences

À Sherbrooke comme partout ailleurs au Québec et dans le monde, les accidents de travail occasionnent des absences et le départ des talents. Il y a une perte des compétences, et donc une fuite de mémoire de l’entreprise. En clair, les entreprises qui connaissent les accidents de travail n’attirent pas les talents, elles ne les retiennent pas non plus. 

3.     Comment mieux prévenir les accidents de travail ?

La conformité aux lois et aux nomes de santé et sécurité au travail ne suffit pas. Après 40 ans d’existence, la CNESST (2020) rapporte que seuls 32.2 % des employés identifieraient et corrigeraient les risques sur leurs lieux de travail. En clair, un employé québécois sur trois est jugé capable d’identifier et de corriger les situations à risque. Que font les 70 % ? Au Québec comme partout ailleurs dans le monde, des recherches se poursuivent. Pour mieux prévenir les accidents de travail, une recherche a été menée auprès de 120 entreprises finalistes du grand prix de santé et sécurité au travail. L’objet de cette recherche, qui a duré huit ans, consistait à identifier et à décrire les conditions de pérennisation de la prise en charge de la santé et sécurité au travail par les entreprises. Les entreprises ont répondu dans une première phase à un questionnaire sur les aspects de la santé et de la sécurité au travail. Dans la seconde phase, nous avons analysé les documents et réalisé des entrevues avec les dirigeants et les représentants des employés. Il en résulte un plan de prévention durable des accidents de travail, suivi de la fondation d’un cabinet pour soutenir les entreprises dans leur démarche de prévention durable des accidents de travail. La conception et la mise en œuvre de ce plan permet aux entreprises de diminuer les risques, les absences et les coûts des accidents de travail. Elles ont amélioré leur production et fidélisé leurs employés. Voici les cinq étapes à suivre pour pouvoir maintenir la prévention des accidents de travail dans la durée :

Étape 1 : Contrairement à la littérature scientifique sur la santé et la sécurité au travail qui insiste sur l’engagement des dirigeants, cette étude révèle que ceux-ci doivent primordialement démontrer  leur leadership en santé et sécurité au travail.

Étape 2 : C’est en démontrant leur engagement en faveur de la santé et de la sécurité au travail que les dirigeants seront en mesure d’impliquer les employés dans le processus de prévention des accidents de travail et de s’assurer de son maintien dans le temps.

Étape 3 : Les dirigeants et les employés, en plus de siéger au comité de santé et sécurité, doivent maintenir un dialogue permanent avec l’ensemble des employés.

Étape 4 : La direction de l’entreprise doit reconnaitre les efforts de prévention déployés par son personnel.

Étape 5 : C’est après avoir mis en place son propre système de prévention qu’une entreprise peut recourir aux interventions externes afin de les aider à déceler leurs  angles-morts dans le domaine de la santé et sécurité aux fins d’amélioration.

CONCLUSION

Les entreprises qui mettent en place le plan de prévention durable des accidents de travail, peuvent non seulement réduire les risques et les coûts des accidents de travail, mais selon les cas, obtenir des ristournes de la CNESST.

Référence

Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (2023). Statistiques annuelles.

Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (2020). Rapport annuel de gestion.

Fidelis Conseil (2024). On ne joue pas avec la vie des gens au travail.